Le « dark tourism » ou tourisme noir, cette pratique dérangeante !
|Le camp de concentration d’Auschwitz, la centrale de Tchernobyl, Ground Zero… Nombreux sont les lieux imbibés par les plus grandes tragédies planétaires et témoignant, ces dernières années, d’une vive recrudescence d’intérêts touristiques. Connue sous le nom de « dark tourism » ou plus littéralement dans notre langue de Molière « tourisme noir », cette nouvelle tendance commence à intriguer un large panel d’individus. Qu’est-ce que vraiment le tourisme noir, cette pratique étonnante à la frontière du dérangeant ?
Le tourisme noir, c’est quoi ?
Pour tenter de comprendre un concept, il est toujours intéressant d’étudier la syntaxe des termes le composant. Procéder ainsi vous évitera les faux départs et les erreurs d’interprétation. Tourisme noir, un nom, un adjectif, diamétralement opposés étymologiquement dans leur sens profond. En commutant les définitions de ces deux antagonistes on obtient le sinistre « parcourir pour son plaisir un lieu associée à la mélancolie ou à un événement tragique ».
À la différence du tourisme de mémoire, qui se caractérise plus par son aspect commémoratif, le tourisme noir tend vers un certain voyeurisme, combiné à une espèce d’excitation primaire qu’on peut parfois ressentir lors de visites de lieux hautement symbolisés par la mort d’autrui, la souffrance et les catastrophes. Controversé pour les uns – surtout les familles des victimes – servant le devoir de mémoire pour les autres, le tourisme noir divise.
Quels sont les principaux lieux représentatifs du tourisme noir ?
Des centaines de lieux pourraient figurer sur ce condensé, tant les catastrophes et les tragédies sont l’apanage du genre humain. Néanmoins, voici quelques lieux représentatifs de ce tourisme morbide.
Selon les opinions, le camp de concentration d’Auschwitz peut aussi être assimilé au tourisme de mémoire. Pourtant ce site, évoquant les horreurs les plus atroces de la Shoah commises durant la Seconde Guerre Mondiale, connaît depuis quelques années une véritable « disneylandisation » tournant au simulacre. Des tour-opérateurs proposent des visites guidées du camp, ainsi que celle d’un musée, à des tarifs élevés, capitalisant au maximum sur ces horreurs. Primo Levi, un survivant du camp, disait dans son livre Si c’est un homme, à propos de l’histoire du camp, « La comprendre est impossible, la connaître est nécessaire, ce qui est arrivé une fois peut recommencer ». Raconter les événements passés à Auschwitz est primordiale, mais les présenter de façon dénaturée n’est jamais l’idéal.
L’un des sites les plus représentatif du tourisme noir se trouve en Ukraine avec la centrale de Tchernobyl. Avant tout pour les amateurs de la série The Walking Dead, appréciant les décors apocalyptiques de villes fantômes et de natures luxuriantes reprenant ses droits. Trente ans après l’explosion, la ville de Pripiat à proximité de la centrale est toujours inhabitée. Les édifices en ruines laissés tels quels, comme si le temps s’était figé cette après-midi d’avril 1986, sont effrayants. Toutes aussi effrayantes, les annonces de tour-opérateurs qu’on trouve sur internet : « L’ultime expérience de Tchernobyl, tombez amoureux de Tchernobyl, de Pripiat et de Duga (!) ». Comment peut-on tomber amoureux d’un lieu symbole d’autant de douleurs ?
Ground Zero, le site des attaques des tours jumelles du 11 septembre 2011, subit lui aussi une intensification des visites. Que ce drame ne tombe pas dans l’oubli est essentiel, mais de là à en faire un musée lucratif avec ses produits dérivés… Ah ces américains ! On est toutefois rassuré quand on lit, sur des sites faisant la promotion des visites payantes, que « l’endroit serait un site de réflexion et de respect plutôt qu’un site où prendre des photos ».
Pour finir, restons dans ce cher pays de l’Oncle Sam. Tout un chacun est au courant de la tragédie de novembre 1963 de Dallas : l’assassinat du président John F. Kennedy. Eh bien, il est possible de revivre le parcours d’avant sa mort et de visiter un musée érigé en l’honneur de ce jour fatidique. Sur le parcours, des croix indiquent les impacts de balles ; dans le musée, il y a une reconstitution de la pièce d’où Lee Harvey Oswald – l’assassin – a tiré, ainsi que la voiture utilisée pour se rendre sur les lieux. Incroyable. Tout cela pour une poignée de dollars…
Sur les traces du génocide Rwandais, des tremblements de terres en Chine, de la centrale de Fukushima… bien des autres exemples traduisent les caractéristiques de ce tourisme macabre.
Quid éthique du tourisme noir ?
L’éthique du tourisme noir pose question. Trouver un juste milieu, entre la non-exploitation et l’engouement trop prononcé, paraît nécessaire tant la vente de produits dérivés et la monétisation des sites à outrance sont incompatibles avec la mémoire des victimes et le respect des familles. La solution serait de l’encadrer, de le réguler, en proposant aux visiteurs des grilles de lectures pour les aider à comprendre ce qu’il s’est réellement passé. Le tourisme noir à but ludique, voyeur, pour simplement prendre une photographie et dire « j’y étais » ne comporte pas de réel intérêt. On comprend toutefois qu’aucun touriste ne se rendrait sur les lieux si ceux-ci ne comportaient qu’une pierre sépulcrale en mémoire aux victimes. Au XXIe siècle, même la mort est un business !
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